Sans doute n’y a-t-il pas si loin de la colère à la mélancolie. La première porte vers l’extérieur ce que la seconde retourne vers soi. Un même dépit à l’égard du monde et de la société, sans doute, les travaille. Ainsi voit-on le passage du Nanni Moretti numéro un, contempteur enragé et histrionesque de la bêtise et de la lâcheté de ses pères et contemporains, au Nanni Moretti numéro deux, conscience désormais douloureuse du legs que sa propre génération accorde à ses enfants. Vingt années, pas davantage, éclairent le passage d’un état à l’autre, le temps que jeunesse se passe. Rien là que de très humain.
Qu’importe, puisque aussi bien ce créateur parmi les plus intimement affectionnés (ou au contraire détestés) de ses spectateurs laisse ici (Je suis un autarcique, 1976 ; Journal intime, 1994) comme là (La Chambre du fils, 2001 ; Habemus papam, 2011) de magnifiques films en partage. Présenté en compétition à Cannes en mai, Tre piani a désarçonné, voire désappointé, sans doute en raison de l’apparition d’une coloration nouvelle dans le nuancier affectif morettien – l’amertume – et d’un tour inhabituellement didactique, pour ne pas dire cadenassé, de la mise en scène.
Le film adapte Trois étages, un roman israélien d’Eshkol Nevo (Gallimard, 2018) transposé à Rome, dans un immeuble de caractère. Trois familles dysfonctionnelles en font les frais. Lucio, Sara et leur fillette Francesca. Monica et Giorgio. Vittorio, Dora et leur fils Andrea. Dans la première, le père entretient la conviction délirante qu’un voisin âgé, auquel le couple confie régulièrement sa fille, a abusé d’elle. Dans la deuxième, une jeune femme, délaissée par un mari qui court le monde, craint de devenir folle comme sa mère et accouche seule de sa fille. Dans la troisième, un couple de magistrats voit son fils, désœuvré et alcoolisé, tuer par accident une passante en voiture ; le père (Nanni Moretti), inflexible, imposera à sa femme de ne jamais lui pardonner cet ultime dérapage.
Malheur et folie à moudre
Autant dire qu’il y a ici du malheur et de la folie à moudre, et que la gent masculine, aussi rigide qu’inconsciemment malfaisante, y prend une part si prééminente qu’elle en paraît tout de même un peu disproportionnée. Car ce sont bien les fantasmes machistes de Lucio, l’indifférence de Giorgio, la frigidité morale de Vittorio et la bêtise d’Andrea qui, dans ce film, perturbent leur entourage et empêchent le monde de tourner.
Ce n’est pas pour autant, au demeurant, que les personnages féminins tirent les marrons de ce feu malade. L’irrésolution (Dora), la folie (Monica), l’insignifiance (Sara), voire la provocation sexuelle et la manipulation (une jeunesse de l’immeuble), leur sont largement accordées en partage.
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Divertissement
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