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Avant sa diffusion sur Arte, En thérapie, la première série du célèbre duo de réalisateurs, est déjà un événement. Le pitch : un huis clos dans le cabinet d’un psy après les attentats de novembre 2015, avec une pléiade d’acteurs. Essence du jeu, partage des émotions, failles de la société… Conversation sur le divan avec deux fous de cinéma.
Depuis plus de vingt-cinq ans, ils forment un duo inséparable. Leur lien fraternel s’est noué dans leur prime jeunesse, en colonie de vacances, à l’époque où ils partageaient déjà le même rêve de cinéma. Ensemble, ils écrivent et réalisent des films qui leur ressemblent, humanistes, fédérateurs mais exigeants. Ce tandem gagnant collectionne les triomphes, d’Intouchables (52 millions de spectateurs dans le monde) à Hors normes, creusant leur sillon avec cet art singulier d’aborder des sujets graves avec légèreté.
Après sept longs-métrages, ils innovent et signent leur première série, pour Arte, adaptée très librement de la célèbre série israélienne BeTipul. Ils ont choisi de nous faire plonger dans le cabinet d’un psychanalyste, les trente-cinq épisodes correspondant chacun à une séance d’analyse de patients en détresse juste après les attentats du 13 novembre 2015, en France. Le pari était risqué, le terrain inattendu. Mais le résultat est à la hauteur de ces talentueux showrunners qui scannent les failles de la société. Pour En thérapie, ils ont fait appel à une équipe de scénaristes et également à plusieurs réalisateurs, dont Pierre Salvadori, et se sont entourés d’un casting époustouflant : Frédéric Pierrot et Carole Bouquet côté psys, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Clémence Poésie, Pio Marmaï et Céleste Brunnquell côté patients.
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En vidéo, la bande-annonce de "En Thérapie"
Madame Figaro. - Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire une série, et pourquoi celle-ci, spécifiquement adaptée de la série israélienne BeTipul, sortie en 2005 ?
Éric Toledano. - Il y a quinze ans, BeTipul avait retenu notre attention, car elle réussissait la prouesse de tenir en haleine le spectateur avec un cadre unique : le cabinet d’un psychanalyste. Nous avions trouvé le procédé très puissant en termes de narration. Mais pour être honnête, à l’époque, nous n’avions pas de velléités de faire une série. Nous avions la chance, Olivier et moi, que nos films s’enchaînent et qu’ils attirent des spectateurs. Le cinéma représentait notre territoire d’expression préféré.
Olivier Nakache. - Le temps de la série nous semblait plus adapté au thème de la psychanalyse que le temps du cinéma. Trente-cinq épisodes de vingt-cinq minutes, c’est long, mais c’est ce qui fait l’originalité et le sel de cette expérience. Nous avons pu développer la psychologie des personnages. Pour créer une intimité immédiate avec le spectateur, on a pris le parti de filmer les visages au plus près. Et la contrainte majeure du huis clos s’est révélée un moteur et un défi à relever.
É. T. - Ce qui nous intéressait, c’était la possibilité de scanner la société française à travers différents patients en analyse - un policier de la BRI, une chirurgienne, un couple en crise, une ado nageuse de haut niveau aux tendances suicidaires -, qui témoignent tous de l’état de notre pays. Dans cette photographie de l’instant, on retrouve d’ailleurs tous les thèmes qui font débat en ce moment : la crise de l’hôpital, la représentation de la police, les scandales dans le monde du sport… Hagai Levi, le scénariste de BeTipul, que nous avons rencontré, a bien résumé le principe en disant : «Les failles des personnages trahissent les failles d’un pays.»
Est-ce pour cette raison que la série se déroule juste après les attentats du 13 novembre 2015 ?
É. T. - Nous avions commencé à évoquer cette série et même à imaginer un casting avec les productrices des Films du Poisson dès 2014. Six mois plus tard, surviennent les attentats du 13 novembre qui nous ont tous marqués. Ces événements ont été beaucoup commentés sur l’instant, puis silence radio, comme si le couvercle devait se refermer sur notre mémoire collective. C’est un mécanisme de protection très humain : les faits sont tellement anxiogènes que l’on préfère ne plus y penser. Mais enfouir un trauma se révèle dangereux pour la société comme pour les individus.
O. N. - Il nous paraissait aussi intéressant de redéfinir le rapport au temps dans une époque cacophonique où tout va trop vite, où tout le monde parle sans que personne ne s’écoute, sur des chaînes d’infos en continu comme sur les réseaux sociaux, ce qui crée plus de vide que de sens. Cela fait d’ailleurs écho à la crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui avec un brouhaha incessant de blablas, comme si toutes les paroles se valaient. Avec cette série, nous voulions redonner leur poids aux mots, remettre la parole et l’écoute au centre. Et faire l’éloge de la lenteur.
Le podcast à écouter
Pour chaque épisode, vous avez placé vos acteurs dans les conditions d’une vraie séance, en laissant la caméra tourner sans interruption, avant de monter les images. Vous ont-ils étonnés ?
O. N. - Woody Allen dit que 80 % de la direction d’acteurs consiste à bien les choisir. Nous avons pris un plaisir immense à constituer ce collectif. Ils nous ont tous époustouflés, relevant le défi comme dans un combat de boxe. Nous voulions revenir à l’essence du jeu, avec un face-à-face, un dialogue. Lorsqu’on filme pendant quarante-cinq minutes non-stop, les acteurs lâchent forcément prise émotionnellement. Un jour, Mélanie Thierry a fait un lapsus qui lui a automatiquement fait penser à sa maman. Elle s’est effondrée. On a laissé la caméra tourner. Reda Kateb, qui a joué dans Hors normes, et qui nous fascine depuis toujours, a aussi été très loin dans son jeu. Quand son personnage de policier de la BRI parle, on visualise la scène qu’il décrit au Bataclan.
É. T. - C’est la force de ce qu’on appelle le cinéma intérieur… Il n’y a pas besoin d’action, de flash-back ou d’autres procédés pour créer une tension dramatique avec des rebondissements qui vous donnent envie de voir l’épisode suivant. Tout passe par l’acteur et les émotions qu’il transmet. Le spectateur est à 100 % avec lui.
Vous-même, avez-vous suivi une analyse ?
O. N. - Personnellement, non, mais avec les scénaristes nous nous sommes tous replongés dans les textes de Freud et de Lacan, et nous les avons confrontés à d’autres psychanalystes qui ont une approche, une école ou une technique différente. Nous ne pouvions pas nous permettre de raconter n’importe quoi. D’ailleurs, c’est intéressant de voir que le personnage de Carole Bouquet est sur une position plus dure de psychanalyste à l’ancienne tandis que Dayan, le psy joué par Frédéric Pierrot, doute de lui.
É. T. - Mon analyse m’a ouvert le champ des possibles : me replonger dans le passé, questionner mon histoire, mon vécu, apprendre à l’interpréter m’a beaucoup appris. Aller à la rencontre de soi est un travail très sain.
Toute votre filmographie révèle une obsession pour les duos d’acteurs, est-ce votre histoire que vous prolongez à l’écran ?
É. T. - L’essence du cinéma, pour nous, c’est le champ et le contrechamp, deux points de vue qui s’opposent, deux personnages différents qui se rencontrent, dialoguent et apprennent à se connaître.
O. N. - Même dans nos films collectifs, on privilégie les scènes de duo. Cela fait des années qu’on dit «nous» plutôt que «je». À deux, on est plus forts. Éric et moi, nous sommes à l’aise avec la notion de groupe. Peut-être parce qu’on s’est connus tous les deux en colonie de vacances, où se côtoient des profils de personnalités très variés, avec des vulnérables, des exubérants, des timides… Avoir baigné dans le collectif depuis notre tendre enfance nous a amenés à observer les gens comme des ethnologues, à nous intéresser aussi à ceux qui sont derrière le rideau ou dans l’ombre.
Comment voyez-vous l’avenir du cinéma, si malmené par cette crise sanitaire ? La série est-elle, selon vous, devenue le nouvel eldorado des cinéastes ?
O. N. - Non, je ne le crois pas, même si nous sommes dans une conjoncture très particulière. La fermeture des salles a représenté une énorme déflagration pour nous tous. Et, au moment où l’on se parle, nous ne savons toujours pas quand elles pourront rouvrir. Le public n’a pas eu d’autre choix que de reporter son attention sur les écrans à la maison. Certes le boom des plateformes a aussi stimulé la création, mais il faut que les bénéfices engrangés par ces dernières se mettent au service du cinéma en participant au financement des productions françaises. C’est le nerf de la guerre, et ce pour quoi nous devons nous battre. Je pense sincèrement que l’envie cinéma est toujours là. Cette fameuse expérience sur grand écran, elle est sacrée. Un bon film passe l’épreuve du temps, on peut le revoir plusieurs fois sans jamais se lasser, ce qui n’est pas le cas des séries, aussi remarquables soient-elles, que l’on «consomme» dans l’immédiateté.
Éric Toledano, vous êtes le nouveau vice-président de L’Académie des Césars : quelle vision du cinéma voulez-vous défendre ?
É. T. - Nous restons plus que jamais fidèles au cinéma. Jamais on n’égalera la sensation et l’émotion de voir un film sur grand écran. Les salles de cinéma nous manquent terriblement. Six mois de fermeture, ce n’est jamais arrivé, même pendant les deux guerres mondiales. Il va falloir batailler pour que les gens reviennent dans les salles, on n’a pas envie que cet acte de mixité sociale, l’un des rares vestiges du collectif, s’arrête. Nous faisons des films pour voir des gens qui ne se connaissent pas, rire, pleurer, vibrer ensemble, dans le partage. Pour relancer la culture, il faut aussi éveiller les plus jeunes, leur redonner le goût des salles. Avec Véronique Cayla (la nouvelle présidente de l’Académie des César, NDLR), nous aimerions créer un vrai pont entre l’Éducation nationale, la jeunesse et le cinéma, établir des partenariats entre les acteurs, les techniciens, les réalisateurs et les établissements scolaires. Cette idée me tient à cœur.
En thérapie, sur Arte, le jeudi à 20h55, du 4 février au 18 mars 2021.
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