Nous sommes le 26 avril 2001. Un ovni fait son apparition sur M 6. Treize célibataires se coupent du monde pendant dix semaines sous l'objectif omniprésent des caméras. Le titre : « Loft Story ». Ce programme inédit, adapté du concept néerlandais « Big Brother », et ses participants défraient la chronique. Pas une couverture, pas une discussion sans parler de Loana, Steevy et les autres. Un genre est né : la téléréalité. Vingt ans après, qu'en reste-t-il? Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) s'est posé la question dans le cadre d'une étude que Le Parisien - Aujourd'hui en France révèle en exclusivité.
Un genre indéfinissable ?
En deux décennies, la téléréalité a connu des variantes. L'enfermement du début des années 2000 a été remplacé par une liberté relative. Le direct a laissé place à l'enregistré. Entre 2010 et 2019, le CSA dénombre une cinquantaine d'émissions du genre, avec aussi bien « les Marseillais » et « les Anges » que « Koh-Lanta ». Soit 16 000 heures de diffusion au total. Un phénomène qui a basculé au fil des années de TF 1 et M 6 à la TNT tout en s'accentuant.
Mais peut-on réellement définir la téléréalité? « Ce sont tous les programmes non-scénarisés », résume Nathalie Sonnac, présidente du groupe de travail Télévision au CSA. « La vraie définition, c'est l'enfermement, avec vote du public, rétorque Alexia Laroche-Joubert, productrice de Koh-Lanta. Et cela n'existe plus depuis l'arrêt de Secret Story. »
Car un virage a été pris avec l'apparition des « Anges » et des « Ch'tis » en 2011. « On s'est affranchi de l'enfermement et de la mécanique pour aller dans un soap du réel », se souvient la productrice. « Ce n'est pas de la vraie téléréalité, estime Angela Lorente, qui a mis en place de nombreuses productions du genre. C'est le nouveau Hélène et les garçons. Les candidats sont guidés, comme des acteurs. »
« Nous avons démarré avec une télévision en direct. Tout pouvait arriver, comme l'épisode de la piscine (NDLR : des ébats filmés) avec Loana et Jean-Edouard. Aujourd'hui, cela n'existe plus, note le sémiologue François jost, spécialiste de la téléréalité. Tout est maîtrisé par le montage. Le pouvoir narratif est très fortement retourné au producteur, qui a par exemple monté en épingle le Allô de Nabilla.
Un impact sur toutes les autres émissions
« La téléréalité a influencé tous les autres programmes », affirme Nathalie Sonnac. Elle a ainsi irrigué progressivement différents divertissements, sur toutes les chaînes, à travers 140 formats au cours des dix dernières années, des concours de talents au coaching, des jeux d'aventure aux « fictions du réel ». « Ils ont recours aux mêmes codes, explique la sage. Un élément majeur est l'interview narrative, le recueil des émotions des participants hérité du confessionnal de Loft Story. »
« The Voice », « Cauchemar en cuisine », « L'Amour est dans le pré », « Rendez-vous en terre inconnue », « Prodiges » ou « le Jour où tout a basculé »… En 2019, ces dérivés représentent un impressionnant total de 9 645 heures d'antenne, cinq fois plus qu'en 2010. En face, la téléréalité traditionnelle ne compte « que » 2030 heures de diffusion, un volume toutefois plus important que le sport. Mais pour les créateurs et diffuseurs, on ne mélange pas les torchons et les serviettes. « Le Loft n'a pas inventé l'interview face caméra! » peste un producteur de concours télévisés.
Rare voix qui sorte de l'ombre, Alexia Laroche-Joubert concède que « la téléréalité a un peu modifié la manière dont on raconte les histoires ». « L'impact est davantage technique et artistique que sociétal », reconnaît-on chez M 6, où l'on juge incomparables « Loft Story » et « L'Amour est dans le pré ». « La téléréalité a toujours eu mauvaise réputation en France, donc personne n'assume. Mais elle a beaucoup inspiré, c'est sûr », assène Angela Lorente.
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« On s'intéresse de plus en plus à ce que les gens pensent. On veut essayer de comprendre ce qu'ils ont dans leur tête. Aujourd'hui, toute émission, jeu, information ou fiction intègre des témoignages face caméra », renchérit François Jost.
Quel avenir ?
Avec 96 % des émissions sur trois chaînes uniquement en 2019 (NRJ 12, TFX, W 9), la survie est difficile. Mais il ne faudrait pas les enterrer trop tôt. « La téléréalité actuelle est un genre rentable, avec des coûts modérés. Et elle fédère un public très jeune, à la fois en télévision et sur le numérique », explique Nathalie Sonnac.
Chez TF 1, le sujet du retour de « Secret Story » revient régulièrement sur la table. « Beaucoup y sont favorables, mais d'autres bloquent complètement. Et cela coûte trop cher pour le relancer sur la TNT », nous indique une source proche du dossier.
Certains imaginent même que le genre né au début des années 2000 a finalement dévié dans la vie réelle. Particulièrement au vu des derniers mois. « A l'époque, certains auteurs avaient comparéle Loft à des camps de concentration. C'était n'importe quoi! se souvient François Jost. Aujourd'hui, le fait d'être filmé est quelque chose qui a été apprivoisé. Il y a eu les webcams, les smartphones… Cette familiarité de montrer par les images est devenue dominante. Et nous sommes finalement un peu rentrés dans le Loft avec les confinements…
« La vraie téléréalité est sur les chaînes d'information, où l'on fait un storytelling de tout, s'amuse Angela Lorente. Les héritiers du Loft sont aussi sur les réseaux sociaux, où c'est plus cash, plus pur, plus… réel »
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